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  • Photo du rédacteurThe Elephant In the Room

"De toute façon je ne te laisse pas le choix"


©Illustrations by Sophia Riahi


C’est marrant comment le temps rend les choses plus claires. Les mots qui se suivent, ce que je m’apprête à enfin écrire, ne sont que des réalisations récentes.


J’avais 17 ans quand je l’ai rencontré. Il venait d’arriver au lycée. C’était agréable au début... On se cherche, on se taquine, on se retrouve aux soirées, on essaye de ne pas se prendre au sérieux, puis arriva le premier “je t’aime”, “je veux qu’on soit ensemble”.


Je n’avais jamais couché avec quelqu’un. Je m’étais promise que ma première fois serait unique, que je la garderais pour quelqu’un d’extraordinaire, que j’aimerais, et qui m’aimerait autant. Deux mois passèrent et je n’avais toujours pas accepté de le faire. J’en avais envie, mais je n’étais pas prête.


Puis un jour,


“mes parents ne sont pas là ce weekend, j’organise une soirée, tu veux rester dormir?”


J’accepte. De toutes façons je lui fais confiance, il ne me forcera jamais si je ne suis pas prête. Mais je veux être prête, j’ai envie de le faire, ça fait quand même deux mois qu’on est ensemble. Je me convaincs que je serai prête.


On est la soirée du samedi 14 janvier 2017. Je m’en souviens de la date précise, parce que ce fut une soirée pénible. Longue. Tous nos amis sont partis et on n’est plus que tous les deux. Il décide de me déshabiller et de me consacrer à peine deux minutes de son temps. Puis il se relève, et prend une capote.


D’un coup j’hésite, mon pouls remonte au plafond.


“ahm.. En fait, je ne suis pas sûre de vouloir le faire”


Il se retourne vers moi d’un regard moqueur et d'un petit sourire satisfait.


“De toute façon, je ne te laisse plus le choix.”


©Sophia Riahi


À ce moment là quelque chose me frappa, mais je ne comprennais encore de quoi il s'agissait. Je demeurais immobile sur le lit en le regardant s'approcher. Je n'entendais plus que les battements de mon coeur, qui se mélangeaient les uns aux autres. Je me suis tut. Et j'ai ouvert mes jambes.


Ce fut incroyablement douloureux. Et ce fut très long. Je pleurais un peu, mais pas trop, pas assez pour qu'il s'arrête.

Il s'est arrêté au bout d'une éternité, ça devenait pénible pour lui tellement j'étais sèche.


Le lendemain je repartais. Sur le chemin, je me répétais qu'il avait eu raison, que de toutes façons j'allais pas faire chier. "Tu commences, tu termines".


J'aurais voulu en parler avec mes amies, mais pour la plupart c'était un sujet tabou et j'avais peur. Peur du jugement, peur des regards. Quelques semaines après, alors que je me confiais enfin à ma meilleure amie, j'ai été gelée par son regard sévère, teinté de jugement et réprobation: 


"Moi, je le ferai attendre plus que deux mois. Ça ne se passera pas comme ça."


Les mois qui ont suivi furent d'une violence considérable. Violence avant tout psychologique. À 17 ans on n'a pas le sens du recul, on n'a pas le sens de soi. Ma perception de moi-même je me l'étais construite à travers le regard des autres, de mes proches, de ma famille, de mes amis, de mon copain. 


Je me retrouvais embarquée par cette vague d'insécurité, de dégoût de soi que l'on inculque aux femmes dès le plus jeune âge. La moité de ma famille s'était promise de toujours me faire remarquer combien j'étais "cadavérique", les remarques sur mon corps revenaient de façon récurrente au lycée, notamment de la part de mes amis. Et mon copain s'assurait de me faire comprendre tous les jours que je ne lui suffisait pas. Je n'étais pas assez belle, je n'avais pas assez de formes, je ne faisais pas assez de squats.

La première femme qui passait se transformait en l'objet d'une comparaison. J'ai même eu l'occasion d'être comparée à quelques unes de mes meilleures amies.


©Sophia Riahi


Pendant quelques mois, toutes les nuits, je mangeais jusqu'à l'écoeurement, il fallait que je grossisse. Il fallait que je m'élève à son niveau. Il ne faut surtout pas qu'il parte, qu'il s'en lasse tout d'un coup un jour au réveil. Notre vie intime lui était entièrement dédiée, peu importe que j'ai envie ou non, que je prenne du plaisir ou non, que je sois consentante ou pas.


Un jour, j'ai retrouvé dans son portable des photos de filles, en sous-vêtements, ou nues. Affolée, je lui demande des explications. C'est qui? Pourquoi les photos sont sur ton portable?

La réponse ne tarde pas, se sont les photos que lui a envoyé son meilleur ami. Ça l'amuse de prendre des filles en photo puis de les partager sur WhatsApp.


Le pire: c'est que j'étais rassurée. Soulagée qu'il ne me trompe pas (si je savais). À ce moment là, je n'ai pas pris conscience de la gravité de la situation. Je ne me suis pas dit que ces filles là n'avaient sans doute pas consenti à la divulgation de leurs photos. Qu'elles ne s'en doutaient peut-être pas qu'elles étaient enregistrées dans la galerie image d'un inconnu.


À ce jour, je suis persuadée que, moi aussi, il a dû me prendre en photo, ou pire.


À la fin de l'été de l'année 2018, je partais à Paris pour faire mes études. Ce fut là ma première libération. Je recontrais enfin des gens décomplexés, des gens pour qui mon corps était sublime. Je me retrouvais moi-même, mon amour propre, et le respect que je me dois.


Un mois après je le quittais, et je l'oubliais.


J'ai 21 ans maintenant. Ce ne fut qu'au cours de ces dernières années que ces violences me sautèrent aux yeux. Ce ne fut qu'en entendant parler de consentement que quelque chose en moi s'est déclenché. Que j'ai pris conscience des violences.


Quand je repense à ma première fois, je ne ressens que du dégoût. Je me revois pleurer, allongée et statique. Je le revois, avec son regard cynique, me dire "de toutes façons je ne te laisse plus le choix". J'ai envie d'interrompre, de crier, de le repousser. J'ai envie qu'il me le rende ce moment. Qu'il me le rende, mon consentement.


"Spectatrice, j’observe la scène de la vie

Où des personnages surgissent,

Dans les moments de joie ou de dépit"

©Sophia Riahi





L'auteure de ce texte a choisi de rester anonyme.








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