(original french recommended)
Quand j’avais seize ans j’ai fréquenté en secret un garçon de ma classe, pendant une durée de trois mois (de septembre à décembre. Il avait déjà une copine, donc je décidai de mettre fin à la liaison au retour des vacances de Noël. Il ne dit rien sur le moment mais continua de m'envoyer de nombreux messages et photos de ses parties intimes et prit l'habitude de me plaquer contre les murs des couloirs pour me peloter la poitrine et les fesses, des cages d'escalier, d'essayer de s'asseoir à côté de moi en cours pour me caresser les jambes et de faire des blagues sexuelles/sexistes, voir même de publiquement m'humilier en tant que "fille facile". Durant l'année, je ne me rendais pas vraiment compte du côté malsain de son comportement. C'était un de mes plus proches amis et je lui faisais confiance. J'étais parfois mal à l'aise et frustrée qu'il ne comprenne pas et qu'il continue mais vu qu'il se comportait de manière assez semblable avec d'autres filles (blagues sexistes, attouchements parfois mal placés, ...) et que personne ne disait rien, je ne disais pas grand chose non plus.
La situation s’empira en mai, sa relation avec sa copine étant au plus bas, jusqu'au point où il m'enferma dans une cabine des toilettes du lycée, disant qu'il était convaincu que je mentais et que j'avais forcément envie de lui. Il essaya de me forcer à lui faire une fellation, puis face à mon refus s'introduit en moi de force. Je réussi au bout d'un instant interminable à le repousser et à m'enfuir.
En sortant de la cabine j'étais sous le choc. Nous étions en cours de sport donc j'ai rejoins le groupe tremblante. Un ami a vu mon malaise et est venu me voir. Je n'osais pas lui dire et je dis juste qu'il avait essayé de me retirer mon haut puis partis courir. Je ne comprenais pas comment il avait pu faire ça, comment il avait l'air si sûr que je voulais de lui. Je couru pour essayer de "fuir" mes pensée, jusqu'à m'en blesser. À la fin du cours, ne pouvant plus marcher, j'attendais sur un banc que ma mère vienne me chercher. Il vint s'asseoir à côté de moi et dit qu'il était désolé et que cela ne se reproduirait plus. Ce fut la première et dernière fois où il reconnu d'une certaine façon le tort qu'il avait pu me faire.
Je ne revins au lycée que trois jours plus tard. Le voir se comporter exactement de la même manière avec les autres filles de la classe me donna la nausée. Le midi je ne réussis pas à avaler quoi que ce soit. Je me mis à pleurer en sortant de table et me confiais à certaines de mes amies qui me convainquirent d'appeler un numéro vert. À la suite de cet appel je décidai d'écrire ce week-end une lettre à ma mère pour lui en parler. Je n'y réussis pas mais je parlais aux autres filles de la classe envers lesquelles il avait le même type de comportement, de ce qui m'était arrivée parce que je m'inquiétais pour elles, et pour sa copine notamment.
Une semaine plus tard je passais en oral blanc de français et tombais sur un extrait de Tartuffe, où le personnage se comportait en prédateur sexuel face à Elmire. Je revivais la scène de manière violente et ma prof s'en aperçut et me demanda ce qui n'allait pas. Je craquais et lui racontais tout. Ensuite, tout s'enchaîna très vite. Appel de la déléguée, de la CPE, de mes parents, entretient dans le bureau du directeur, puis direction le poste de police. Aux alentours de 23h30, épuisée, je fis ma première déclaration et portai plainte.
À la suite de cela, il fut expulsé du lycée et je n'y retournais que quelques semaines plus tard. J’ai dû retourner aux postes au moins une fois par semaine, avoir un examen médico-légal, puis psychologique. Toute la classe fut interrogée, certains profs aussi, ainsi que d'anciennes amies à moi. Tout le lycée fut rapidement mis au courant.
C'était sa parole contre la mienne. Avec son avocat, il niait les faits et prétendait que je faisais cela pour me venger car il aurait en fait rompu avec moi à ce moment là. Je ne comprenais pas comment il pouvait dire et encore moins penser cela. Je me sentais sale, je pleurais souvent, notamment au lycée, où les gens ne savaient pas toujours qui croire. Certains admiraient qu'il ait souvent un comportement impulsif, prédateur et possessif. Parallèlement, d'autres disaient que je flirtais souvent avec les gens, que je m'habillais souvent de manière voyante, avec des jupes courtes.
Chaque aspect de ma vie depuis le collège fut passé au microscope. Je ne pouvais plus rien cacher, tout fut exposé aux yeux de tous, notamment de mes parents. Mon père, qui m'interdisait même de parler à des garçons, me passa un savon, me dit que si quoi que ce soit venait à ternir sa réputation il me mettrait dehors.
Je me sentais coupable, je pensais que c'était de ma faute, que je n'aurai pas dû avoir une liaison avec lui.
Certains me disaient ça, que je m'étais moi même mise dans cette situation. Je me refermais sur moi même.
Les épreuves de français arrivèrent. Nous les passions dans le même centre d'examen et j'étais sensée être dans la même salle que lui. On me changea de salle, me mettant à l'autre bout du campus. Je passais ces épreuves sous une tension oppressante, la peur au fond du ventre de le voir à tout moment. Je ne sortais plus de chez moi, ayant même peur de le voir dans la ville.
La presse fut mise au courant. Nous étions dans un lycée de bonne renommée à Toulouse, plus connu pour ses bons résultats que pour ses viols d'élèves (malgré quelques histoires de drogues, meurtres et suicide en prépa). Je quittais les réseaux sociaux et mes parents m'envoyèrent chez ma tante (psychologue) pour l'été.
J'étais totalement perdue et me remettais en question: je me demandais constamment ce que j’aurais bien pu faire pour lui donner envie. Je me détestais, la vue de mon corps nu me donnait des hauts le cœur. Je ne parlais plus à personne, essayant de me concentrer au maximum sur le programme de terminale pour oublier.
Le jour de la rentrée arriva. Il avait dû s'inscrire dans un autre lycée et son avocat était retourné voir la presse. L'enquête repris.
J'essayai autant que possible de me concentrer sur mes cours, je perdais petit à petit mes amis, qui ne comprenaient pas ma distance. J'avais l'impression qu'un mur transparent m'empêchais de communiquer avec eux. J'avais beau avoir l'impression de hurler de l'intérieur, je restai glaciale à l'extérieure.
Le lycée exigea un suivi psychologique. Je passais mon temps entre les cours, les interrogations au poste de police, et les rendez-vous avec mon psy. Je faisais des crises d'angoisse souvent, des cauchemars troublaient mon sommeil, et je détestais me laver ou me voir sur la glace d’un miroir. Aller aux toilettes du lycée devenait pour moi insupportable.
Au milieu de l'année une confrontation devant la procureure eu lieu. Je tremblais, absolument terrifiée à l'idée de le revoir. À la fin, la procureure me donna mon premier souffle d'espoir : le regardant droit dans les yeux elle lui dit :
"Non mais vous y croyez à ce que vous dites ? vous êtes capables d'être ici, en face d'elle et de tenir ce type de propos ? Vous vous rendez-compte que c'est grave ?".
Des larmes de soulagement coulaient sur mon visage, c'était la première fois au cours de l'enquête où quelqu'un d'autre que mon avocate me croyait. J'avais eu jusqu'à présent l'impression qu'on essayait constamment de me remettre en question, de me coincer, de me faire avouer que ce n'était qu'un mensonge, me faisant répéter et donc revivre sans arrêt ce même moment où je fus traitée comme un objet et où la peur me paralysa.
Je revivais depuis des mois mon viol sans arrêt, que ce soit au poste, dans mes cauchemars, ou au lycée.
Les épreuves du bac arrivèrent et ce fut le même schéma que pour les épreuves de français : je fus mise à l'écart, tenue à distance pour ma propre protection.
Je rentrais ensuite en prépa, dans le même lycée. Les choses se calmèrent un peu, l'enquête avançait lentement et les convocations au poste s'espacèrent. J'essayais de vivre ma vie comme si rien n’était, comme si tout était fini. J'étais de toute manière fort occupée avec les cours et j'eus de problèmes de santé compliqués et qui entraînèrent plusieurs hospitalisations.
Lors de ma seconde année, peu de temps avant les concours, je reçu une lettre me convoquant au tribunal. Le procès allait avoir lieu. J’étais sous le choc : j'avais passé les derniers mois à essayer de m’enfuir et d'oublier, et tout cela me revint au visage d'un coup. J'avais l'impression d'avoir reçu un coup de marteau sur la tête. Je passais les prochains jours dans un état second, incapable de me concentrer sur quoi que ce soit d'autre que l'épée de Damoclès, qui semblait pendre au dessus de ma tête.
Le jour du procès arriva. Je m'y rendis seule avec mon avocate. La séance n'était pas ouverte au public et mes parents étaient trop occupés pour m'accompagner. J'essayais de garder la tête haute et de ne pas pleurer. Il vint, accompagné de son avocat et de sa famille.
Ils jouèrent tous à la perfection le rôle de la victime, disant comment mes accusations avaient à jamais changé leurs vies et ruiné les opportunités de leur fils.
Ma voix tremblait lorsque je pris la parole. Je savais que les faits ne m’avaient pas impactée à moi seule, mais que beaucoup de monde avait été touché : les élèves du lycée interrogés, nos proches, sa famille. Mais il fallait que je tienne bon, il fallait me convaincre que j'avais raison, que c'était la bonne chose à faire.
La justice me donna raison et le condamna, même si au cours de l'enquête les faits avaient été re-qualifiés de « agression sexuelle » (pas assez de preuves et première infraction d'un jeune homme dont la justice ne voulait pas ruiner la vie). Malgré mon soulagement que la justice reconnaisse enfin officiellement le tort qui m'avait été fait je restais triste : il avait jusqu'au bout démenti tous mes propos, il continuait donc pour moi à ne pas voir le mal que cela m'avait causé.
Je ne comprendrai jamais vraiment pourquoi ni comment la situation a pu en arriver là. Je me suis à jamais sentie trahie et utilisée comme un jouet. Une partie de moi cherchera toujours à comprendre, et souhaiterait même le recontacter, lui demander si vraiment, au fond de lui, il ne se rend pas compte, ou s’il a seulement été manipulé par son avocat. Je sais que cela m'est impossible et donc je continue à me questionner intérieurement et à me renseigner sur des histoires semblables, du point de vue de l'agresseur pour essayer de comprendre, et peut-être donner du sens à ce qui m'était arrivée.
Par ailleurs, je ne suis toujours pas capable de me rendre seule aux toilettes publiques et je reste toujours sur mes gardes avec des personnes de sexe opposé. Même avec mon partenaire actuel, qui est extrêmement doux et patient, et que je connais depuis quelques années, j'ai des réflexes de recul et de protection quand il a un geste brusque, même s’ils ne prennent pas ma direction. J'ai longtemps cru que j’étais incapable de prendre du plaisir lors des relations sexuelles, ma gynécologue pensant que cela était dû à un blocage psychologique.
Mon état mental s'est petit à petit détérioré du fait de l'accumulation de certains problèmes mais je pense toujours que ce jour là fut le point où la chute commença : je ne fus plus jamais la même après.
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