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Photo du rédacteurMariana de Abreu

La loi Veil ne garantit pas le droit à l'avortement

Dernière mise à jour : 6 févr. 2022




Ivg.net ressemble à n'importe quel autre site web vérifié et digne de confiance : il apparaît en premier lors d'une recherche sur le web, il est bien organisé, accueillant, et met même à disposition un numéro vert que vous pouvez appeler anonymement, du lundi au dimanche. C'est ce qu'a fait Madeleine lorsqu'elle a découvert qu'elle était enceinte de sept semaines et qu'elle a décidé d'avorter.


"J'avais vingt-trois ans, je vivais dans un appartement de neuf mètres carrés, j'étais en couple depuis moins de deux mois et j'ai paniqué", raconte Madeleine, aujourd'hui avocate à Paris. Lorsqu'elle a appelé la ligne d'assistance téléphonique, elle cherchait des conseils, mais surtout du réconfort pour affronter la perspective d'un avortement, dit-elle.

Mais le réconfort n'est pas ce qu'elle a obtenu. "Ils m'ont dit en gros que je le regretterais toute ma vie : que je me sentirais soulagée au début, mais qu'au bout d'un moment, cela me hanterait, que je ne pourrais plus dormir à cause des cauchemars", a déclaré Madeleine, qui a demandé à ce que son vrai nom ne soit pas utilisé.

En France, l'avortement est légal depuis plus de 45 ans et il n'est pas au centre de guerres juridiques ou culturelles comme c'est le cas dans de pays allant des États-Unis à la Pologne. Pourtant, comme le montre l'expérience de Madeleine, l'accès aux soins liés à l'avortement ne va pas de soi en France non plus. Qu'il s'agisse d'une multitude de sites web trompeurs ou d'une pénurie de médecins disposés à pratiquer l'intervention, les femmes qui souhaitent avorter sont confrontées à des obstacles croissants.


Dans les zones rurales, la pénurie de personnel médical prêt à pratiquer l'intervention et les réseaux de transport mal équipés empêchent un nombre croissant de femmes de se faire avorter dans les délais. Au niveau institutionnel, les quelques initiatives de progrès existantes concernant les droits reproductifs des femmes se heurtent à de nombreux obstacles. Dans le sillage d'une nouvelle "ère d'interdiction de l'avortement" qui a pris d'assaut les pays occidentaux, le "pays des droits de l'homme" peine à fournir des soins d'avortement sûrs à ses citoyennes : un scénario qui fait douloureusement écho aux célèbres paroles de Simone de Beauvoir - N'oubliez jamais qu'il suffit d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne doivent jamais être considérés comme acquis.



La clause de conscience : une entrave qui persiste

" Pourquoi une clause spécifique pour l'avortement si ce n'est pour stigmatiser davantage cette procédure et l'empêcher de faire partie de la santé sexuelle et reproductive normale d'une femme ? "

Selon David Lahoule, coordinateur de prévention du centre de planning familial du Plateau de Millevaches, l'un des plus grands obstacles à l'IVG est indiscutablement la "clause de conscience".


Elle remonte à 1975, date de la création de la loi française sur l'avortement, aussi appelée loi Veil. À l'époque, afin de calmer l'opposition, Simone Veil a inclus une clause légale qui permet aux médecins et aux praticiens de ne pas fournir de services d'avortement pour des raisons de religion ou de conscience.


"Nous voulons que cette clause disparaisse", déclare David, "c'est un obstacle sérieux qui se dresse entre les femmes et les soins dont elles ont besoin. Elle doit disparaître". L'obstacle devient encore plus important lorsque les médecins qui invoquent la clause de conscience ne respectent pas leur obligation d'orienter la patiente vers un autre médecin, prêt à pratiquer l'avortement.


Ce qui est en jeu, ce n'est pas le droit du médecin à choisir, mais le fait qu'une clause spécifique à l'avortement n'a pas lieu d'être. En effet, il existe déjà une clause réglementaire de conscience qui s'applique à tous les actes médicaux. Quel est donc l'intérêt d'avoir une clause de double conscience ? La députée Marie-Noëlle Battistel, membre du Parti socialiste français, affirme qu'il s'agit d'une question de stigmatisation : "Pourquoi une clause spécifique pour l'avortement si ce n'est pour stigmatiser davantage cette procédure et l'empêcher de faire partie de la santé sexuelle et reproductive normale d'une femme ?"



Un acte médical légal, mais puni

Contrairement au Texas, la pratique de l'avortement est parfaitement légale en France. Mais le personnel médical qui pratique ces interventions a toujours l'impression d'être puni pour cela. "Économiquement, ce n'est pas un acte intéressant", affirme Marie-Noëlle Batistel, "il est payé beaucoup moins cher que n'importe quel autre acte médical, et il y a donc un manque de médecins qui se sentent encouragés à le pratiquer."


D'autre part, beaucoup de médecins qui pratiquaient des avortements dans le cadre de leur engagement politique, prennent aujourd'hui leur retraite. L'absence d'incitation économique les empêche d'être remplacés par de nouveaux médecins, plus jeunes, qui pourraient partager les mêmes convictions. Une tendance confirmée par les dernières enquêtes : 8% des centres d'avortement en France ont fermé leurs portes entre 2007 et 2017.


De plus, les médecins qui pratiquent l'avortement risquent d'être envoyés dans des régions rurales plus isolées, afin de compenser le manque de personnel médical. Dans la région rurale française du Plateau de Millevaches, le seul médecin qui pratiquait des avortements en dehors des hôpitaux partira, lui, bientôt à la retraite.


Les zones rurales plus sévèrement touchées

En 2019, 9 % des femmes ont dû quitter leur département pour accéder à l'IVG. Si ce phénomène se produit dans tous les départements, c'est une réalité quotidienne pour les zones rurales. Le temps qu'une femme doit parcourir pour se faire avorter varie en fonction de l'endroit où l'on vit, mais au Plateau de Millevaches, il faut parfois plus d'une heure pour se rendre à l'hôpital le plus proche.



"C'est compliqué parce qu'entre le moment où une femme demande un avortement, et le moment où elle l'obtient, trois voyages chez le médecin sont souvent nécessaires". David Lahoule explique. "Ce n'est pas tout, se rendre chez le médecin nécessite souvent un moyen de transport individuel, ce qui peut être un obstacle pour de nombreuses femmes."


Pour les femmes qui ne peuvent pas se payer une voiture, ou qui ne peuvent pas se permettre de dire à leurs parents qu'elles doivent avorter, la situation est délicate. "Comme pour les demandeurs d'asile", ajoute David. Quand on pense aux zones rurales, on ne pense pas immédiatement aux centres d'asile. Mais en France, de nombreux demandeurs d'asile ont été expédiés dans des camps situés dans des zones rurales. "L'exil des demandeurs d'asile vers les zones rurales crée une perte d'autonomie par rapport à la ville : cela signifie que les femmes sont dépendantes de la bonne volonté des travailleurs et des infrastructures pour pouvoir partir et c'est assez compliqué."


"Une loi est efficace quand elle fait respecter un droit, et aujourd'hui ce n'est pas le cas."

Une résistance politique et institutionnelle ?

Au début de l'année, Marie-Noëlle Battistel a présenté son projet de loi sur l'avortement au parlement français. Dans celui-ci, elle demandait non seulement un allongement du délai, de douze à quatorze semaines, mais aussi la suppression de la clause de conscience, entre autres.



"Quatre ou cinq membres de la droite (Les Républicains) nous ont asséné 400 amendements. Nous ne pouvions pas aller plus loin." Alors que Battistel a lancé un appel au gouvernement, et à son premier ministre Jean Castex, elle affirme qu'ils n'ont toujours pas obtenu de réponse.



"Silence radio", dit-elle. En octobre, elle aurait contacté Elisabeth Moreno, secrétaire d'État attachée au Premier ministre, chargée de l'égalité des sexes. "Elle a répondu qu'elle était très engagée dans la recherche de solutions pour améliorer l'accès à l'avortement, mais n'a jamais prononcé les mots 'nous allons prolonger le délai'. Voilà où on en est. Une loi est efficace quand elle fait respecter un droit, et aujourd'hui ce n'est pas le cas."


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