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Photo du rédacteurGabrielle Poughon

Les futurs féministes avec Julia Cagé – « Il faut des quotas »

Dernière mise à jour : 6 févr. 2022

On nous répète sans cesse qu’il faudrait « penser le monde d’après » : celui d’après la pandémie, d’après la vague #MeToo. Si nous voulons un monde d’après féministe, la meilleure solution reste sûrement d’écouter celles qui s’efforcent de le penser, de le théoriser, de le rechercher. Ce sont des femmes, artistes, chercheuses, politiciennes, expertes dans leur domaine et qui veulent faire bouger les choses, pour qu’on ne revienne jamais au monde d’avant. Chaque semaine, The Elephant leur donne la parole, pour penser ensemble des futurs féministes.




Vous connaissez peut-être l’économiste Julia Cagé pour ses engagements politiques. Elle a notamment fait campagne auprès de Benoît Hamon lors de la présidentielle de 2017, soutenant la nécessité d’un revenu universel. Vous la connaissez peut-être aussi pour son ouvrage, Le Prix de la Démocratie, paru en septembre 2018 et dans lequel elle met en lumière le poids des intérêts privés au sein de notre vie démocratique. Présidente de l’association Un Bout des Médias, elle se bat avant tout pour l’indépendance des médias en France et pour une reconquête citoyenne de notre vie démocratique.


Lorsqu’on lui demande si elle est féministe, Julia Cagé hésite quelques secondes avant d’affirmer que « c’est compliqué de ne pas l’être. Comme toutes les femmes de ma génération, je vais aux manifestations et je lis des livres sur la question. Je n’en ai pas fait une identité mais je le suis fondamentalement ».


Le ton est donné : si l’économiste n’est pas spécialisée dans les thématiques féministes, elle ne s’en écarte pas pour autant tout à fait. Elle ne s’attaque pas de front aux questions de genre dans ses recherches, mais apparaît tout de même préoccupée par les inégalités femmes-hommes lorsqu’il s’agit de la vie professionnelle : « Je m’interroge sur comment faire en sorte de ne plus être dans une discipline ou, de facto, lorsque je prends deux étudiants en fin de master ayant exactement le même niveau, vous avez une probabilité beaucoup plus faible que la femme continue et fasse une thèse, alors que l’homme va le faire ».


Elle, pourtant, a effectivement soutenu sa thèse à l’université d’Harvard en 2014, intitulée « Essays on the Political Economy of Information ». Déjà spécialisée en économie politique, elle dédie l’essentiel de ses recherches à la question de l’indépendance des médias et des partis politiques. Or, on le sait, la place des femmes dans les médias est cruciale.


Dans son rapport sur la « Présence des femmes dans le milieu audiovisuel » paru en mars 2020, le CSA faisait état d’une légère augmentation de la représentation féminine à la radio et à la télévision. Après un état des lieux désastreux l’année précédente, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel avait mis un coup de collier, exhortant chaînes de télévision et de radio à faire un effort sur la représentation féminine, qui s’élève aujourd’hui à 41%, tous milieux audiovisuels confondus.



La parité n’est cependant pas encore là, et la solution offerte par Julia Cagé est claire et nette : « Il faut des quotas. C’est ce que nous a appris tout ce qui s’est passé au cours des dernières années en France et dans d’autres pays : si vous ne mettez pas de règles, les choses ne changent pas toutes seules. Pour la télé, vous avez des conventions signées entre les chaînes et le CSA. Dans ces conventions, vous avez un certain nombre de règles. Par exemple, vous n’avez pas le droit d’avoir plus d’un certain nombre de minutes de publicité. Des engagements doivent être pris en termes de représentation des femmes et des minorités. Il faut juste les rendre plus stricts et conditionner le renouvellement des licences au respect de ces règles. ».


C’est dans ce sens qu’est allée la mission Franceschini, mission d’aide à la presse lancée par le ministère de la Culture en décembre 2020 et qui souhaite notamment conditionner les aides à la presse à la représentation des femmes. L’économiste en convient, pour la presse papier, cela se révèle plus complexe : comment mesurer la part de représentation des femmes dans un journal ?


Pour Julia Cagé, une fois encore, la solution est toute trouvée « il faudrait davantage faire en sorte que cela concerne une parité au niveau des postes de direction. Le problème n’est pas que les directeurs de rédaction sont fondamentalement de mauvaise foi, c’est qu’ils ne s’en rendent pas compte. Il y a des réunions où ceux qui prennent la décision sur la couverture sont uniquement des hommes. Il n’y a pas de femmes. La solution n’est pas de dire qu’il faut la moitié de femmes sur la couverture. Par contre, si vous mettez des règles qui font en sorte que l’équipe de direction est constituée pour moitié de femmes, le problème va disparaître de lui-même. ».


Aux yeux de Julia Cagé, un futur plus féministe est donc un futur fait de règles strictes de parité, pour assurer une égale représentation des femmes et des hommes ; le reste suivra naturellement jusqu’à ce que les quotas se révèlent inutiles. S’il existe un modèle à suivre pour la chercheuse, il s’agit bien sûr des pays nordiques « On a fait de petits progrès en France en augmentant le congé paternité, mais dans les pays nordiques, ils sont allés plus loin et ça marche mieux, notamment en disant que femmes et hommes doivent prendre un congé à part égale. ».


On pense notamment au système suédois dans lequel chacun des deux parents peut prendre quarante-huit jours de congés, payés à 80% du salaire. S’il est possible de se transférer les jours de congés entre parents, chacun doit en prendre au moins deux mois, sous peine de voir ce congé supprimé.


S’il y a une leçon à tirer de cet entretien avec l’économiste française, c’est que les clefs pour combler le manque de parité entre femmes et hommes existent déjà, il nous suffit de les mettre en œuvre.


Pour elle « il faut se baser sur la recherche. Tout ne fonctionne pas et certaines politiques peuvent avoir des effets pervers qu’il faut anticiper. Pour ça, on a besoin d’expérience. Et c’est là où l’économie et la science politique peuvent être utiles : essayer de regarder ce qui marche, ce qui ne marche pas, tenter d’en tirer des leçons et d’améliorer les choses pour le futur. ».


Donner la voix aux chercheurs et chercheuses, donc, et créer des politiques à partir de leur travail d’évaluation des règles mises en place partout dans le monde. Le mot de la fin est clair : le futur féministe sera un futur de recherche ou ne sera pas.



Le conseil lecture de Julia Cagé


« L’excellent livre de Pauline Grosjean Patriacapitalisme vient de sortir en septembre. Elle y attaque vraiment la question de l’égalité entre les femmes et les hommes uniquement du point de vue économique. Elle évalue les politiques qui ont été mises en place ces dernières années et qui ont fonctionné ou pas ». Ancienne élève de l’École Nationale Supérieure et agrégée d’économie, Pauline Grosjean expose dans cet ouvrage l’évolution professionnelle des femmes tout au long du XXème siècle et leur stagnation récente. Elle y dénonce une structure de domination de genre qui interagit avec notre système économique : le patriarcalisme. Bonne nouvelle : la chercheuse y donne aussi les moyens d’en sortir.


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