“The only power I possess is to name things, and thus to lift taboos”. This line from Scorched, a 2003 play by Wajdi Mouawad, part of the trilogy The Blood of Promises, speaks to the importance of speech in the psychological reconstruction process through which any victim goes through. Here, the victim is Nawal, imprisoned during the Lebanese civil war and raped repeatedly by her executioner, who is revealed to be her long lost son. While this line clearly represents one’s will to break the silence surrounding the atrocities committed in prison, it is in complete silence that Nawal will spend the rest of her days, locking herself in mutism for five years. Thus, the true power of Scorched lies in making words resurface from the most profound depths of silence.
“She never said anything to anyone”.
These are the very first words used to describe Nawal’s character. Indeed, the play opens with her death, an irreversible immersion in eternal silence, hinting to her five-year-long mutism. Only at the reading of her testament does Nawal finally express her wish to sink into oblivion, through silence:
“No epitaph needed for an absent name engraved in an absent stone”.
Unable to speak, Nawal takes refuge in writing, leaving her children (Jeanne and Simon) with the burden of uncovering the truth behind her silence. From that moment, Scorched turns into the search for Nawal’s voice, a search for the truth where screams are obscured by a veil of silence.
Thanks to the paper trail their mother left behind, and to the recordings made of her silence, Jeanne and Simon will be able to uncover the horrible Oedipal truth: their father is not only their mother’s torturer, he is also their brother, whom Nawal was forced to abandon. And it is because that reality is beyond human understanding that Nawal could not speak of it: when words are hopeless, silence is all one has left.
However, what makes up the beauty of Scorched, is the ability to make the most poetic words rise from the ashes of quietness. Some lines may resemble no less than biblical verses, and nourish the play of its tragic beauty:
“Maybe we will find that this love story // Is seeded in blood, in rape, // And that, in turn // The bloodthirsty and the rapist // Finds his origin in love”.
Thus, it is clear that the uselessness of words, the drainage of their power by the atrocities of war, is not the only point Mouawad strives to make. On the contrary, he shows us we have a choice. For Nawal, there is also writing, inner speech, but also singing. “In the nights when Abou Tarek raped her, their voices were blended together”. By singing while being repeatedly raped, Nawal manages to affirm her life, her identity, before the executioner who believes he is putting her down. Here, the torturer’s murderous groans fuse with Nawal’s saving voice.
Thus, Scorched’s power and righteousness lie in the claim that words are not useless: there is a lyricism in the world which goes beyond horror, that only words (written or spoken) allow us to grasp. Beyond silence, there is an opening to demand justice. And so does Nawal, at sixty years of age, during her testimony in court:
“This is the last time I will speak your name. I am speaking it so that you know I recognize you”.
Nawal had to break the silence to accuse, to prevent becoming an accomplice of her torturer’s crimes, and to be rebuilt. Then, maybe the reason Nawal chose to stay silent for five years is that she had nothing left to say. It is now up to others, to her children, to us, to carry her voice, and to lift taboos, break the silences, as she did.
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“Tout le pouvoir et la justesse d’incendies, c’est d’affirmer que la parole n’est pas vaine”
Article par AUDE SAINT-GILLES
« Le seul pouvoir que j’ai c’est de nommer les choses et de lever ainsi les tabous ». Cette réplique d’Incendies, pièce du dramaturge Wajdi Mouawad parue en 2003 et issue de la trilogie, Le Sang des promesses, est révélatrice du rôle de la parole dans le processus de reconstruction psychologique par lequel peut passer toute victime. Ici, la victime est Nawal, emprisonnée lors de la guerre civile libanaise et violée à de multiples reprises par son bourreau qui se révèle être son fils. Si cette réplique de Nawal illustre une volonté de briser le silence sur les atrocités vécues en prison, c’est pourtant dans ce même silence que cette femme se renferme, et ce pendant cinq ans. Dès lors, toute la force d’Incendies est d’arriver à faire émerger la parole, des confins les plus profonds du silence.
« Elle ne disait jamais rien à personne ».
Tels sont les premiers mots utilisés pour décrire le personnage de Nawal. En effet, la pièce s’ouvre sur la mort de celle-ci, qui s’engage alors dans un silence éternel que laissait présager son mutisme long de cinq années. C’est par une lettre testamentaire laissée à son notaire, que Nawal affirme sa volonté de tomber dans l’oubli, dans le silence de l’oubli :
« Pas d’épitaphe pour un nom absent sur une pierre absente ».
Alors Nawal, à qui désormais la parole est impossible, se réfugie dans l’écrit et laisse ainsi à ces deux enfants Jeanne et Simon, la dure charge de trouver la cause de ce silence. C’est ainsi qu’Incendies se mue en quête de la parole de Nawal, quête de vérité à travers un silence où le cri est toujours sous-jacent.
Jeanne et Simon, guidés par les traces écrites de leur mère et par les pistes laissées par l’enregistrement de son silence par son fils, arriveront à l’horrible vérité oedipienne : leur père n’est autre que le bourreau de leur mère, mais également leur frère que Nawal était contrainte d’abandonner. Et, c’est parce que cette réalité dépasse l’entendement que Nawal ne peut parler : quand la parole est impossible, reste le silence. Toutefois, ce qui fait la beauté d’Incendies, c’est cette capacité à faire immerger du silence, les paroles les plus poétiques. Certaines répliques ne s’apparentent pas moins qu’à des versets, et confèrent à la pièce sa beauté tragique :
« Peut-être que l’on découvrira que cette histoire d’amour // Prend sa source dans le sang, le viol, // Et qu’à sont tour // Le sanguinaire et le violeur// Tient son origine dans l’amour ».
Ainsi, on le voit bien, Mouawad ne dépeint pas que la faillite du pouvoir de la parole face aux atrocités de son temps. Au contraire, il en montre les alternatives. Pour Nawal il y a l’écrit, la parole intérieure, mais aussi le chant : « Les nuits où Abou Tarek la violait, leurs se confondaient ». Les chants de Nawal lors de ses viols réguliers par son bourreau, sont une manière de clamer son état de vie face à un violeur qui pense l’abattre. Ici, les râles assassins du bourreau se confrontent aux chant salvateur de Nawal.
Alors, tout le pouvoir et la justesse d’Incendies, c’est d’affirmer que la parole n’est pas vaine : au-delà de l’horreur, il y a une poéticité du monde que seule la parole, écrite, comme déclamée, permet d’atteindre. Au-delà du silence, il y a la possibilité de réclamer justice. Et c’est ce que fait Nawal à soixante ans, lors de son témoignage devant les juges :
« Je prononce votre nom pour la dernière fois de ma vie. Je le prononce pour que vous sachiez que je vous reconnais ».
Nawal a su sortir du silence pour dénoncer, pour ne pas se tenir complice des crimes de son bourreau, et pour se reconstruire. Et, si Nawal s’enferme alors dans un long silence de cinq ans, c’est peut-être parce qu’elle a déjà tout dit. Alors viennent aux autres, à ses enfants, à nous, de porter sa voix, et comme elle de lever les tabous, de briser les silences.
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